Éditorial du numéro 4

La guerre de classe qui vient

par Vanina Giudicelli

3 septembre 2010

Il faut prendre la mesure de ce que nous disons et en tirer les conséquences. Au-delà des divergences d’analyse toute la gauche radicale s’accorde sur l’idée que la crise actuelle n’est pas une simple crise financière mais une crise de tout le système capitaliste, la plus grave crise depuis 1929.

Qu’est-ce que cela signifie ? D’abord que, d’un point de vue strictement économique, cette crise va durer et s’amplifier. Les États français et allemands ont décidé de plans d’intervention massifs pour garantir les dettes des maillons faibles de la zone euro, en premier lieu la Grèce. L’ampleur des attaques contre les populations de ces pays suffit à démontrer que les besoins de celles-ci sont le dernier des soucis de nos dirigeants. Pour les gouvernements français et allemand il s’agit de sauver leurs propres banques, premières créancières des pays de la zone euro, et tenter de mettre fin à la spéculation contre l’euro. La mise en péril de ces banques par un défaut de paiement fragiliserait toute l’économie de la France et de l’Allemagne. Mais cela signifie aussi (voir dans ce numéro l’article « L’euro est-il fini ? » de Costa Lapavitsas) que nous n’en sommes qu’aux premiers étages des plans d’austérité et des attaques contre les travailleurs. L’ampleur des attaques contre la population grecque donne une idée de ce que le gouvernement français aspire à mettre en œuvre. L’issue de la bataille sur les retraites, en France, est du coup bien plus qu’un enjeu de justice sociale. Le rapport de forces dont elle témoignera sera déterminant pour la suite de la véritable guerre qui s’engage entre les classes.

La gravité de la crise tient au fait qu’elle n’est ni un accident sur la voie du développement capitaliste, ni une conséquence de mauvais choix politiques. La crise financière n’est pas la cause profonde de la crise. Elle cristallise et amplifie des contradictions non résolues du système d’accumulation capitaliste, à savoir la chute des taux de profit de la fin des ­années 1960. Les politiques néolibérales depuis les années 1980 ont eu pour objectif fondamental de redresser le taux de profit, essentiellement par le renforcement du taux d’exploitation (pression à la baisse des salaires, dégradation des conditions de travail, casse du salaire socialisé). Si la crise n’a pas éclaté plus tôt, c’est parce que l’écart croissant entre les niveaux de production et les capacités réduites de consommation de la population a été comblé grâce à l’endettement, notamment aux États-Unis. La bulle du crédit, à l’origine de la crise actuelle, a été en même temps le moteur de l’économie américaine (et donc, par son poids dans la demande mondiale, de l’économie internationale), sans être en capacité de résoudre la crise fondamentale. Les taux de profit sont restés à niveau estimé à environ deux tiers de celui des Trente Glorieuses, et l’accumulation n’est pas repartie.

Crises politiques

Le pire pour nous est donc à venir : la classe dirigeante va devoir trouver aujourd’hui les moyens, d’autres moyens, de redresser le système capitaliste. Même des attaques plus brutales contre l’ensemble des travailleurs n’y suffiront pas. La seule voie de sortie capitaliste de la crise, la restauration de la profitabilité, passera par une destruction massive de capitaux. Cette voie ne serait pas simplement un gigantesque gâchis pour l’humanité elle annonce le caractère violent de la période dans laquelle nous entrons, violence entre capitaux et violence de classe.

Dans les années 1930, le système d’accumulation capitaliste s’est ainsi maintenu au prix du fascisme et de la guerre (voir « Des sources du fascisme « de Maxime Fourmage). Évidemment, l’histoire ne se répète pas mécaniquement : le dénouement de la crise se situera dans les confrontations sur le terrain de la lutte des classes et des perspectives stratégiques développées dans notre camp. Il n’en demeure pas moins que les mêmes ingrédients sont présents aujourd’hui sous forme embryonnaire : crise économique profonde qui met une pression croissante sur les structures sociales construites durant les Trente Glorieuses, crise du système politique, polarisation de classe impliquant à la fois la croissance du fascisme et une plus grande combativité ouvrière.

Les classes dirigeantes sont pour l’instant divisées sur les politiques à mettre en œuvre depuis la décision de l’administration américaine de laisser une des principales banques d’affaires, Lehman Brothers, faire faillite en 2008. Le dilemme est récurrent. Laisser la crise détruire les capitaux non rentables pourrait permettre aux autres de se rétablir. Mais les classes dirigeantes de chaque pays repoussent cette perspective car la concentration et la centralisation du capital est aujourd’hui si avancée que ce type de faillites a des répercussions néfastes sur le reste du système. A l’opposé, empêcher cette restructuration du capital au sein de sa sphère d’influence, c’est courir le risque de se voir dépassé par des pôles internationaux plus compétitifs.

Ces divergences s’expriment directement politiquement. Car ce sont les États qui jouent le rôle du capitaliste collectif. Au plan national, ils ont renfloué les banques et les entreprises en difficulté plutôt que de laisser les lois du marché les mettre en difficulté. Au plan international, les rivalités économiques prennent et prendront plus ouvertement la forme de rivalités impérialistes dans un contexte où le système impérialiste global est en voie de recomposition avec les anciens centres affaiblis (et en premier lieu les États-unis) et l’émergence de nouvelles puissances (en premier lieu la Chine). Malgré la crise les dépenses militaires mondiales ont progressé de 6% l’an dernier, les plus fortes augmentations concernant des pays comme les États-Unis, la Chine, l’Inde ou la Russie.

Outre ses divergences internes, la classe dirigeante, en temps de crise, est aussi affaiblie par ses difficultés à « acheter » l’adhésion de fractions significatives de la population (voir « Le temps des C(e)RISES, de la Commune à l’Union Sacrée » de Félix Boggio). C’est pour cela que, au-delà de ces divergences, militarisme, racisme et nationalisme seront les éléments qui se marieront avec le renforcement des politiques sécuritaires et répressives.

Quelles tâches ? Construire la résistance et lutter contre le racisme

La crise développe des effets contradictoires dans notre camp. Certes des franges significatives à la fois des couches moyennes et de la classe ouvrière sont prêtes à envisager des solutions politiques plus radicales qu’elles ne l’auraient envisagé précédemment. Mais cela ne les radicalise pas automatiquement vers la gauche. La mise en place de plans d’austérité suscite en effet de la colère comme de la peur. Sur la peur les courants les plus réactionnaires peuvent se développer, comme le démontre la remontée des courants d’extrême-droite partout en Europe. En Hongrie le Jobbik, parti ouvertement fasciste et capable d’organiser des manifestations de masse, a recueilli 17% des voix aux élections législatives d’avril. Sur la colère, ce sont des mobilisations qui peuvent se construire. La Grèce constitue de ce point de vue un laboratoire, pas simplement à cause des difficultés de l’État et de l’ampleur des attaques, mais aussi parce que c’est un des pays européens qui a connu les plus fortes résistances sociales ces dernières années.

Promouvoir l’unité d’action

Il y aura des résistances. Celles-ci se mèneront sur différents fronts et seront marquées par la multiplicité des formes politiques qu’elles prendront et des idées qui y domineront : explosions de la jeunesse, émeutes des quartiers populaires, luttes nationales canalisées par les directions traditionnelles du mouvement ouvrier, luttes locales explosives dans des entreprises avec des assemblées de grévistes, luttes de quartiers pour la défense d’un hôpital ou d’un bureau de poste, combinaison ou alternance de réformisme et d’autonomisme... Cette volatilité des formes de luttes, d’organisations et d’idées sera accentuée par la crise des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, leur distance vis-à-vis du mouvement réel (voir « Nouvelle classe ouvrière, nouvelles organisations ouvrières : l’opéraïsme italien » de John McKay).

En particulier si les bases économiques du réformisme peuvent être considérablement sapées en période de crise, l’idéologie réformiste reste, y compris dans le mouvement social, un pôle d’attraction important (voir « Le réformisme, des organisations avant tout ? » de Sylvestre Jaffard). Le développement inégal de la conscience fait que l’État peut apparaître à la fois comme une institution de classe à une part croissante du mouvement, en même temps qu’il apparaît à une autre comme le principal levier pour modifier la situation. Même si les directions réformistes traditionnelles ont actuellement du mal à cristalliser cette audience potentielle tant leur mutation social-libérale est profonde, une partie de ces directions semble malgré tout avoir compris l’enjeu et semble, à une échelle de masse, revenir à l’offensive. Le principal danger serait de vouloir s’en démarquer a priori, ce qui équivaudrait à se couper de la majorité de la population, plutôt que de mener un combat politique permanent au sein du mouvement. Comme l’exprimait Daniel Bensaïd dans Stratégie et parti : « Pour des raisons historiques bien compréhensibles, nous sommes plutôt marqués par une défiance exacerbée envers le pouvoir. Nous nous vivons souvent comme une organisation de lutte antibureaucratique préventive, plutôt que comme une organisation de lutte pour la conquête du pouvoir. C’est pourtant là le premier problème. S’y attaquer sérieusement implique une mentalité politique majoritaire (pas au sens électoral du terme) : une mentalité de rassemblement, et non seulement de différenciation. Il existe une seconde nature « minoritaire » qui a ses vertus, mais qui peut aussi devenir un obstacle ».

Un programme d’action anticapitaliste

Dans la période qui s’ouvre, les anticapitalistes pourront convaincre au sein du mouvement s’ils démontrent que la stratégie qu’ils proposent apparaît plus conséquente pour combattre la classe dirigeante. Ce que les directions réformistes bloquent, il faut le conquérir à la base. C’est dans ce contexte que la question de revendications transitoires appropriées, de même que la stratégie du contrôle ouvrier prennent leur sens : « on ne peut imaginer une crise nationale révolutionnaire, avec surgissement du jour au lendemain d’expériences massives d’auto-organisation, de contrôle et d’autogestion, sans un apprentissage préalable ; sans que le mouvement ouvrier ait conquis un espace de légitimité, reconquis des fonctions sociales quotidiennes, affirmé une autorité sociale et morale alternative à celle de l’État. Le parti révolutionnaire ne peut se réduire au parti de la grève générale ou de l’insurrection. Il y a certes le danger, toujours présent, de s’enfoncer dans l’assistanat, la gestion de la pénurie, le bénévolat... Mais quiconque postule sérieusement à diriger la nation pour surmonter une crise profonde de société ne peut se soustraire à cette épreuve » (Daniel Bensaïd).

Le NPA a dans cette situation de lourdes responsabilités, mais également des opportunités importantes. Le processus de fondation a démontré qu’une audience existait pour des perspectives anticapitalistes. L’absence d’une stratégie d’action lisible et donnant une cohésion au NPA fait que cette audience peine à se concrétiser. Relancer le processus de fondation pour forger cette stratégie doit être notre priorité.

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