Juin 1936 : Tout est possible

Quand ceux d’en bas prennent confiance dans leur propres forces

par Sarah Benichou

16 septembre 2009

Les grèves de Juin 36 et la victoire de l’alliance électorale nommée Front populaire (regroupant le Parti radical, la SFIO et le PCF) sont spontanément associées et même, parfois, historiquement confondues. Dans les faits, le nom de Front Populaire sert souvent à qualifier le formidable mouvement de grève qui marque, en France, la naissance du syndicalisme de masse, qui continue aujourd’hui, d’inspirer le mouvement ouvrier international, et qui a fait écrire à Trotsky, le 9 juin 1936, que « La Révolution française a[vait] commencé… » [1]. Cet amalgame révèle, naïvement, le lien politique dynamique existant entre le spectaculaire développement des grèves à partir de mi-mai 1936, et les résultats électoraux du 3 mai 1936.

Les organisations politiques qui ont construit le Front populaire ont cristallisé, à travers cette démarche d’union, la volonté populaire d’unité face au développement du fascisme et de la misère. Ainsi, sa victoire est devenue celle d’un camp social ayant démontré sa capacité à se construire comme force politique.

Cette victoire, tous les travailleurs l’ont donc faite leur.

Portés par la confiance d’avoir remporté les élections, comprenant leur nombre et leur force, ils n’ont pas attendu la passation de pouvoir, le 4 juin, à Léon Blum, pour exiger leur dû et « pour que cela change » [2].

Toute la classe est entrée en mouvement. [3]

Le droit de grève, la dignité et le respect

« La Grève » [4] commence le 11 mai, au Havre, contre le licenciement de deux ouvriers grévistes le 1er mai, non férié. Les quinze jours suivants, des grèves se développent aussi dans quelques grosses usines de la région parisienne comme Renault ou Citroën (plus de 30 000 salariés chacune) pour des augmentations de salaires et une amélioration des conditions de travail.

Les municipalités « Front populaire » (communistes, socialistes ou radicales) soutiennent ces grévistes dans leurs négociations auprès des patrons locaux et les ravitaillent, en soirée, à l’usine.

Fin mai, ce sont alors plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers de la métallurgie qui occupent leurs usines dans toute la France. Les revendications sont presque toujours celles-ci : augmentation des salaires, mise en place de contrats collectifs et reconnaissance du droit syndical et de grève.

Une dynamique spontanée

Si elles les soutiennent, les organisations politiques et syndicales du Front populaire ne sont pas à l’origine des grèves. Ce n’est d’ailleurs que le 24 mai que l’Humanité (organe de presse du PCF) les mentionne pour la première fois, notamment parce que certaines sont déjà victorieuses…

Le 24 mai, c’est aussi le jour où, traditionnellement, la gauche rend hommage aux fusillés de la Commune. Ce jour de 1936, 600 000 personnes défilent à Paris, vers le Mur des Fédérés, à l’appel de la SFIO, du PCF et de la CGT. Cette manifestation est un succès inattendu : « Jamais pareille affluence n’a été dénombrée […] Blum et Thorez, entourés des leaders SFIO et communistes, se tiennent côte à côte. » [5].

En fait, les Parisiens n’ont pas attendu la manifestation du 14 juin, prévue pour fêter la victoire du Front populaire et, ce jour-là, « la foule ouvrière prend […] conscience de son nombre et de sa force » [6]

La grève s’étend

Le 26 mai, la grève gagne d’autres secteurs en région parisienne. Inspirés par les usines métallurgiques, certains cafés, magasins ou chantiers cessent le travail, notamment dans Paris où de nombreux travailleurs ont été ponctuellement embauchés pour préparer l’Exposition universelle…

Le 3 juin au soir, 200 usines métallurgiques sont occupées. Parmi elles, on compte aussi des entreprises de moins de 10 salariés.

Le 4 juin, Léon Blum prend ses fonctions de Premier ministre. Ce jour-là, on recense un million de grévistes à Lille, Paris, Brive, Marseille, Toulouse, Vierzon, Rouen, Le Havre, Lyon, Metz, Valenciennes, etc. Les camionneurs, le livre, la serrurerie, l’orfèvrerie, les laboratoires pharmaceutiques, l’habillement, le gaz, l’agriculture et la distribution de journaux sont entrés en mouvement. À partir de maintenant, seuls trois journaux seront normalement distribués et massivement lus : L’Humanité, Le Peuple (journal socialiste) et L’Œuvre (journal radical).

La grève c’est la vie

Blum demande alors aux travailleurs de reprendre le travail mais des bals populaires et des pièces de théâtre s’organisent devant un nombre croissant d’usines occupées. Celles-ci sont devenues les lieux de vie des ouvriers qui sont maintenant ravitaillés par les commerçants du quartier. Ces derniers font aussi crédit aux femmes des grévistes lorsqu’elles viennent acheter du sucre, du pain ou du café. Les employés, les quincailliers ou les serruriers font, eux aussi, un détour pour passer devant l’usine et laisser de l’argent dans le « tronc » de solidarité avant de rejoindre leur domicile.

L’état de grève devient le décor, en mouvement permanent, dans lequel évolue la population…

La peur a changé de camp

Le 7 juin, à Matignon, l’organisation patronale (CGPF) signe un accord avec la CGT impliquant la reprise du travail. Lors de cette rencontre, les patrons « ont cédé sur tout » [7] paniqués par la dynamique déferlante de la grève et des occupations d’entreprises qui, de fait, remettent en cause la propriété privée des moyens de production. Ces accords comprennent l’établissement immédiat des contrats collectifs de travail, la liberté de se syndiquer, l’augmentation des salaires de 12 % en moyenne, l’institution de deux délégués du personnel pour toutes les entreprises de plus de 10 salariés et le droit de grève…
La CGT assure alors au patronat que les conditions sont remplies pour la reprise du travail. Léon Blum accompagne cet accord par l’annonce de l’imminence du vote des lois sur les congés payés et les 40 heures…

La contagion s’étend d’usine en usine, de corporation en corporation, de quartier en quartier. [8]

Pourtant, les jours qui suivent les accords de Matignon ne ressemblent absolument pas à une fin de conflit : au contraire, ils sont le théâtre d’une véritable explosion gréviste.
Le 8, les métallurgistes franciliens applaudissent les accords de Matignon et les futures lois sociales mais, méfiants et prenant conscience du potentiel de leur mouvement, ils exigent des garanties : le réajustement préalable des salaires et l’obligation de signer le contrat collectif avant l’application des accords de Matignon. Une note accompagne ces exigences : s’ils n’obtiennent pas satisfaction, ils proposeront la nationalisation des entreprises avec contrôle des ouvriers.

Les patrons cèdent immédiatement. Les ouvriers demandent alors encore plus : inscription des congés payés dans la convention de la corporation et paiement des jours de grève. Ils affirment aussi une continuation de la grève totale tant que l’ensemble des revendications des techniciens et des employés ne seront pas, elles aussi, acceptées et inscrites dans la convention collective… Un patron métallurgiste tente alors de « discuter » avec « ses » ouvriers « en évitant les meneurs » [9] (comités de grève) : il se fait chasser par toute l’usine sur l’air de l’Internationale… [10]

Le 8 juin les employés parisiens du bâtiment concrétisent leur annonce, faite quelques jours plus tôt, de grève générale. Ils exigent la fin du travail aux pièces, l’augmentation des salaires, la suppression du tâcheronnat et du marchandage. Tous les chantiers sont occupés. Ceux des voies publiques sont ornés de banderoles et de drapeaux. Les travailleurs français et les travailleurs maghrébins, encore colonisés par la France et ayant le statut d’« indigènes », sont solidaires et actifs à égalité dans la grève, « dans la rue, les conducteurs de bus, de taxis et de camions saluent du poing les paveurs en grève  » [11]

Les grands magasins parisiens entrent, également, dans la grève ce jour-là. Occupant les luxueux locaux, les vendeuses affichent leurs salaires dans les vitrines provoquant l’indignation des bourgeois et la sympathie des travailleurs et des petits commerçants du quartier.

Simultanément, des bureaux d’assurances cessent le travail et organisent des piquets de grève. Le 9 juin, plus de cinquante compagnies des « beaux quartiers » sont occupées par leurs employés.

La grève se généralise aussi dans les restaurants et cafés. Des accords sont signés le 9 au soir par la CGT mais la grève générale dans la corporation est appelée pour le 10 car les employés estiment les accords insuffisants. Le 11 juin en fin d’après-midi, 8 000 employés des cafés, de l’hôtellerie et des restaurants se rendent en meeting en multiples cortèges : les grévistes débauchent le personnel encore au travail dans les bistrots et restaurants, se heurtant parfois violemment aux gérants et aux patrons des lieux.

C’est à ce moment-là aussi que la grève est évitée de peu dans les banques où les employés obtiennent, par anticipation des directeurs et du patronat (qui craignent la paralysie de la Bourse), la titularisation des employés de plus de 22 ans, l’augmentation significative des salaires et la signature immédiate de conventions collectives. Le 13 juin, 8 000 employés de banque assistent à un meeting de la CGT qu’ils acclament !

Le 10 juin, en région parisienne, la grève est générale chez les pâtissiers, les confiseurs, l’industrie du bois et ameublement, la confection administrative et des uniformes, la chemiserie, les vêtements de cuir et imperméables, les casquettiers, les commis chapeliers, l’industrie de la chaussure, la maroquinerie, les laveurs de voiture, la régie des eaux, le cinéma (production, distribution et salles de spectacles) l’industrie du livre et la métallurgie.
La province n’est pas en reste : le 9 juin, Le Peuple écrit «  La Gironde ouvrière s’éveille à la lutte et le dernier îlot de calme disparaît » [12]

Dans le Nord et le Pas de Calais, neuf dixièmes des entreprises sont en grève. Le textile et les mines sont totalement bloqués. Le mouvement avait démarré mi-mai dans quelques entreprises métallurgiques et chez les cheminots. Il a gagné peu à peu l’ensemble de la production industrielle et minière et les services de la région.

À Lyon la dynamique est de même nature : les effectifs des grévistes passent de 7 000 à 20 000 après le 7 juin. Comme en Gironde et dans le Centre, à Marseille le nombre de grévistes va croissant…

À cette période, il arrive que, localement, des accords soient signés dans la journée à propos des salaires ou des conventions collectives. Il est alors fréquent que le lendemain, les ateliers, les cafés ou les magasins concernés soient malgré tout fermés et occupés, les travailleurs estimant qu’ils pouvaient obtenir plus… Par ailleurs, lorsque ces accords sont suivis d’une reprise (ce qui arrive tout de même), la conséquence n’est pas l’affaiblissement du mouvement. En effet, L’Humanité, L’Œuvre et Le Peuple (quotidiens exprimant l’orientation des organisations du Front populaire clairement pour la reprise du travail) s’empressent de mettre ces accords en avant, mais… enthousiasmés par ces victoires, d’autres secteurs rejoignent la grève, reprenant des revendications dont ils n’auraient même pas oser rêver quelques semaines auparavant…

La tension politique nourrit la détermination des travailleurs, et inversement...

Le 11 juin, la France compte 2 millions de grévistes alors qu’aucun appel à la grève générale n’a été lancé par la CGT… Le syndicat des concierges dépose ce jour-là un cahier de revendications ! Les chômeurs entrent dans la bataille politique et manifestent un peu partout en France.

Le 12, la grève s’élargit aux ouvrières de la haute-couture, aux employés des pharmacies, aux écuries de course, aux bouchers, à la Compagnie des wagons-lits, aux employés de la chaîne d’épicerie Félix Pottin, aux ouvriers-coiffeurs, à la Compagnie du nettoyage, aux bateaux parisiens et aux mariniers… Ceux-là organisent un barrage de péniche sur l’Oise qui bloque toute la circulation fluviale.

Des manifestations sauvages ont lieu dans tout Paris les 11 et 12 juin alors que certains groupes fascistes tentent l’organisation de milices pour « assurer la liberté du travail ».
Les grévistes sont de plus en plus nombreux et leur mouvement rythme la société. Si la CGT, les dirigeants du PC ou le gouvernement s’expriment pour la reprise du travail, les travailleurs ont pourtant choisi d’autres adversaires. Ils affrontent les fascistes s’il le faut et, presque « tout simplement », leur patron, celui qui les embauche, les vire et qui les regardait encore de haut il n’y a pas si longtemps... Chantant l’Internationale et ornant leurs lieux de travail de banderoles et de drapeaux rouges, ils construisent concrètement l’affrontement de classe avec la bourgeoisie, celle qu’ils connaissent et qu’ils voient tous les jours…

« Tout est possible » [13]

La majorité des grévistes ne percevait pas les lois et les accords signés par la CGT avec le patronat comme des entraves au développement du mouvement.

Loin de s’opposer par leurs luttes au gouvernement ou de critiquer fondamentalement les syndicats (la CGT a quintuplé entre 36 et 37, gagnant 4 millions de membres dans et après les grèves), ils comprenaient toutes les nouvelles lois et accords signés comme des encouragements au développement de la grève. Pour les travailleurs, si la tâche du gouvernement de Front populaire était de faire voter des lois améliorant leurs conditions de vie, la leur était de formuler leurs exigences et de les imposer à leur patron dans chaque magasin, dans chaque usine et dans chaque atelier. De fait, chaque nouvelle promesse de loi ou d’augmentation de salaire était saluée comme une nouvelle avancée et développait la grève : les grévistes exigeant plus ou, de nouveaux travailleurs (voire des corporations entières) rejoignant le mouvement, inspirés par le climat de grève et les victoires…
La dynamique était telle que tous comprenaient, instinctivement, que leur mouvement était un potentiel énorme de transformation. C’est cela qui explique notamment que, loin de résorber les grèves déjà massives, les accords de Matignon ne font que les renforcer et les développer.

« Le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c’est le début classique d’une révolution » [14]

La grève de 36 a été basée sur cet affrontement presque basique entre les travailleurs et leurs patrons. De fait, le mouvement a été constitué de milliers de grèves spécifiques simultanées. Chaque mobilisation plaçait le terrain de la lutte à un niveau très local, au sein de l’entreprise ou, tout au plus, avec les entreprises similaires de la région.

Cette réalité a fait dire aux dirigeants syndicaux de 1936 qu’il s’agissait de « grèves corporatives ou économiques » et que la crise était « sociale et non politique ». Pourtant, leur dynamique spontanée au lendemain des élections, leur simultanéité, leur offensivité (occupations d’usine, revendications exigeant une modification profonde de la répartition des richesses, exigence de reconnaissance du droit syndical), leur ampleur et la conscience que chaque travailleur avait de faire partie d’un mouvement bien plus large que celui de son atelier, font que ces grèves ont fondamentalement été les éléments centraux d’un mouvement révolutionnaire…

Le rôle politique central de la victoire électorale - Un mouvement « par en bas »

La spontanéité et la détermination sont les caractères politiques fondamentaux du mouvement de juin 36. Contrairement aux expériences antérieures de grèves de masse, le mouvement de juin 36 se développe totalement indépendamment de la volonté des directions syndicales ou politiques. Nombre de secteurs en grève (comme les grands magasins ou la restauration) n’ont aucune tradition syndicale voire aucun lien direct avec les syndicats. Début juin, Marcel Cachin (dirigeant du Parti communiste) exprime cela très clairement en déclarant, comme pour s’excuser du dérangement : « Nous sommes, les uns et les autres, devant le fait de la grève ».

Cet aspect du mouvement démontre que la victoire électorale, expérience politique qui s’est réalisée de fait à une échelle de masse, a été un facteur politique déterminant dans le développement de cette grève de masse.

La victoire électorale

Le soir du 3 mai 1936, des manifestations spontanées s’étaient organisées dans les quartiers ouvriers de Paris et de la banlieue, les places des mairies Front populaire avaient été envahies par la population dansant et chantant que « tout [allait] changer » [15]… « Boutiquiers et prolétaires, employés et ménagères fraternisent ; des groupes de jeunes lancent Au devant de la vie et tous reprennent en cœur le refrain de l’Internationale que l’on entend tard dans la nuit. À Paris les fascistes se terrent » [16].

Si l’enthousiasme s’empare alors de l’ensemble des travailleurs, certains dirigeants du Front populaire comprennent que, derrière l’unité et la gouvernance, la crise politique guette. Il n’y a pas eu de véritable « raz-de-marée électoral » : les radicaux ont perdu 400 000 voix et les socialistes se sont juste maintenus. Le véritable événement a eu lieu dans le camp communiste : jusqu’alors très marginal, le PCF double son score de 1932 et obtient 1 400 000 voix. Ce résultat traduit une radicalité certaine parmi les opprimés.

Pourtant, de la même manière que le Parti radical a tout juste réussi à « sauver les meubles » grâce à son investissement dans le Front populaire, le PCF cristallise une dynamique, sous forme de voix, grâce à son profil de « constructeur âpre et volontariste de l’unité ».

Les élections ont, en fait, été la première étape d’une confrontation unitaire et massive des opprimés contre leurs oppresseurs. Ce premier round a été fondamental, déclenchant la prise de confiance nécessaire au développement de cette combativité dans les luttes. Portés par la confiance des vainqueurs et le sentiment du « tout est possible », des millions de travailleurs ont construit leur propre mouvement ouvrant, à l’inverse de la volonté des organisations leur en ayant donné la force, une situation révolutionnaire.

Le Front populaire, déjà un produit de la volonté de confrontation

Dans les années 30, les travailleurs et leurs organisations se trouvaient, dans le même temps, confrontés au développement la pauvreté et à la constitution d’un mouvement fasciste organisé, vendant sa propre presse et organisant des manifestations anti-ouvrières. En France, ce mouvement avait réussi à faire tomber le gouvernement en manifestant, le 6 février 1934, place de la Concorde à Paris.

L’unité des travailleurs et de leurs organisations était alors devenue une nécessité objective, presque instinctivement comprise par la classe ouvrière. Le 12 février 1934, 4 millions et demi de travailleurs suivent le mot d’ordre de grève générale, lancé par la CGT et 1 million de personnes manifestent dans toute la France à l’appel des socialistes… Le Parti communiste ainsi que son organe syndical d’alors (la CGTU) rallient la manifestation… Pour la première fois depuis des années, travailleurs socialistes et communistes défilent ensemble, la foule scande « Unité, Unité ! »…

Cinq jours après une démonstration de force fasciste, la nécessité et la possibilité d’une lutte anti-fasciste conséquente et offensive était posée à une échelle de masse. Le signal de départ du Front populaire est alors lancé le 14 Juillet 35 : plus de 500 000 ouvriers, employés, intellectuels et commerçants défilent à Paris à l’appel du PCF, de la SFIO, du Parti radical et de la CGT. A la suite de cette déferlante enthousiaste et déterminée, l’objectif d’aboutir à un programme commun, qui fut finalement prêt en janvier 1936, est fixé par ce qui s’est alors appelé le « Comité national de rassemblement populaire » composé du Parti radical (centre), de la SFIO (réformistes socialiste) et du Parti communiste (staliniens).
En mars 1936, au congrès de Toulouse, la CGT et la CGTU embrassent cette dynamique unitaire en se solidarisant politiquement du Front populaire et en fusionnant. Cette décision a impulsé une vague d’adhésions de 250 000 travailleurs entre mars et mai 1936. Ce phénomène montre à quel point la démarche unitaire permet, alors, de renforcer la conscience, la confiance et la détermination des travailleurs.

La confiance : un facteur déterminant dans la construction du rapport de force.

Juin 36 nous montre le rôle de canalisateur et de détonateur politique que peuvent avoir des élections dans une situation de crise économique et politique… Cette expérience nous enseigne très subtilement que les illusions d’un compromis possible entre les classes n’apparaissent ou ne disparaissent pas par des mots mais bien par la pratique politique, à tous les niveaux, de la classe elle-même.

La victoire du Front populaire a fait passer la légitimité dans le camp des exploités. Incarnant la puissance politique de la classe ouvrière dans l’unité, elle a donné le signal de départ à une explosion gréviste qui a révélé les contradictions et les logiques fondamentales du système à une échelle de masse. Deux anecdotes sont, à cet égard, exemplaires. L’élu Front populaire de Bar le Duc, a été contraint de fermer son entreprise pour éviter une humiliante grève avec occupation et les exploitants agricoles de la Somme ont manifesté à la préfecture d’Amiens pour protester contre l’occupation des fermes…

Mi-mai, alors que le mouvement n’en est qu’à ses discrets frémissement, la Bourse est déjà le reflet de la nervosité de la bourgeoisie : un discours de Jouhaux (secrétaire de la CGT) provoque un effondrement des cours qui remontent, le lendemain suite à un discours très général et donc, rassurant, de Blum [17]… La victoire du Front populaire, la bourgeoisie l’a senti instinctivement, n’a pas seulement été celle d’une alliance électorale mais bien celle de tous ceux qui veulent changer la vie...

Elle a vu juste : le 3 mai 1936 a acté, malgré les limites politiques du Front populaire et l’opposition des directions ouvrières au développement du mouvement, le commencement d’un mois et demi de grèves où ceux d’en bas ne voulaient plus être dirigés comme avant, ceux d’en haut ne pouvaient plus diriger comme avant et ceux du milieu vacillaient dans le camp de ceux d’en bas…

Notes

[1L.Trotsky, Où va la France, 1936.

[2J.Danos et M.Gibelin, Juin 36, Masses et militants, 1952, Les Édition Ouvrières, p.39.

[3L.Trotsky, La révolution française a commencé, 9 juin 1936.

[4Idem.

[5J.Danos et M.Gibelin, p.47.

[6Idem, p.47.

[7Déclaration de Frachon, représentant CGT, à sa sortie de Matignon le 8 juin 1936

[8L.Trotsky, La révolution française a commencé, 9 juin 1936.

[9J.Danos et M.Gibelin, p 98.

[10Idem, p.98.

[11Idem, p.101.

[12J.Danos et M.Gibelin, p.112.

[13Marceau Pivert, dirigeant de la tendance «  Gauche Révolutionnaire  » au sein de la SFIO, le 27 mai.

[14L.Trotsky, La révolution française a commencé

[15J.Danos et M.Gibelin, p.39.

[16Idem, p39

[17Idem, p.43.


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    Le site de la commission nationale formation du NPA.


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