L’expérience portugaise du « Bloc de Gauche »

Entretien avec José Soeiro, membre de la direction nationale du « Bloc »

par Pablo Seban

15 septembre 2009

Tu es au bloc de gauche depuis le début, en 1999. Quelle était la situation au Portugal et pourquoi le « Bloc » s’est-il créé à ce moment là ?

Depuis 1991 la gauche alternative n’avait aucun député, il y avait un climat social très froid… En 1995 le PS a gagné les élections. Il a ensuite organisé des ‘Etats Généraux’, tenté de rassembler les intellectuels, les organisations sociales etc., pour faire un projet de gauche pour le Portugal. Mais entre 1995 et 1999, ils ont mené une politique social-libérale, avec des privatisations, etc. Sur la question de l’avortement, une chose importante au Portugal, les gens croyaient qu’ils allaient changer la loi. Mais en 1997 le premier ministre PS de l’époque, qui était très catholique, a conclu un accord avec la droite pour que la loi ne soit pas modifiée par le Parlement et pour faire un référendum qui a été remporté par le NON. Même si le référendum n’a pas eu 50 % de votants (et a donc été invalidé), ils ont utilisé ces résultats (15 % pour le Non, 14 % pour le oui) pour ne pas modifier la loi. La mobilisation pour la légalisation de l’avortement a été très importante pour le Bloc de gauche, ça a rapproché dans des collectifs des gens mécontents de l’attitude anti-référendum du PC.

Il y avait plusieurs forces dans la gauche alternative. Essentiellement trois : le PSR, la tendance de la IVe internationale, étudiante et intellectuelle, ‘politique 21’, force politique sortie du PC, et l’UDP (union démocratique populaire), un courant maoïste ayant fait un bilan critique des régimes de l’est, une force plus ouvrière, plus implantée dans les syndicats.

L’UDP a pris l’initiative de parler avec « politique 21 » pour créer une nouvelle force à gauche qu’ils ont décidé d’appeler Bloc car chaque parti pourrait maintenir ses affiliations internationales, ses traditions, ses analyses sur le passé, etc. mais en convergeant dans une plate-forme commune pour le futur, pour des propositions anti-néolibérales sur les services publics, sur la nécessité d’une alternative à gauche, sur une critique de l’orthodoxie stalinienne du PC et du social-libéralisme du PS. C’est comme ça que s’est créé le Bloc de gauche en 1999. D’autres groupes s’y sont ensuite rattachés.

Les premières élections étaient les européennes. On a eu un peu moins de 2 %, ce qui est plus que la somme des 3 partis. Puis aux élections législatives on a eu 3 députés…

Êtes-vous surtout actifs au moment des élections ?

Non. L’idée du Bloc n’est pas de rassembler des forces pour les élections. On combat cette logique, cette façon de faire de la politique. On est un parti très impliqué dans les mouvements sociaux, un espace de convergence pour des gens venant de mouvements politiques ou de mouvements pour le droit à l’avortement, étudiants, féministes… Les élections sont une conséquence de notre activisme dans la société. On utilise les institutions pour donner une voix aux mouvements sociaux.

Au début, on était appelé le parti des ‘causes fracturantes’. On parlait de la question de la légalisation du cannabis et de la dépénalisation des drogues dures, de la question de l’avortement, de la légalisation de l’union des homosexuels et de leur droit à l’adoption, de la question des immigrés, de la violence domestique… Le Bloc a été le premier parti a poser ces questions là, le premier a avoir des députés élus qui les revendiquaient. On a donc été connus à travers ces sujets là.

Nous étions dans une configuration intéressante au Portugal. Le PS avait 115 députés, comme la droite plus le PC. Nous pouvions faire la différence. Nous n’avons pas fait d’alliance post-électorale avec le PS, nous n’avions pas été élus pour ça, mais on a obligé le PS à proposer quelques lois importantes, au moins du point de vue symbolique.

Ensuite, bien sûr, le Bloc s’est structuré aussi dans des domaines plus classiques de la gauche : services publics, monde du travail… On a maintenant un courant important dans la centrale syndicale de gauche au Portugal, où des militants du Bloc discutent déjà l’hégémonie du PC. On a pas du tout la même force que le PC mais par exemple dans une entreprise au sud qui est la plus grande du secteur automobile on a eu la majorité dans la commission des travailleurs. On a aussi la majorité dans le syndicat des pêcheurs. Donc on se structure en tant que courant populaire, des travailleurs.

Il y a aujourd’hui consensus dans le Bloc sur le fait qu’on est une organisation anticapitaliste qui veut une alternative socialiste pour le Portugal, pour l’Europe et pour le monde. Ce n’est vraiment pas une force uniquement anti-néolibérale, mais également anticapitaliste. Parce qu’il y a 4 ans on voulait faire une chose nouvelle qui puisse attirer des gens qui se reconnaissaient dans une plate-forme anti-néolibérale, anti-PS, avec un nouveau rapport au PC… On a ensuite approfondi non seulement notre définition idéologique mais aussi notre organisation comme parti de masse, avec des organisations locales, des organisations dans les facultés… une organisation révolutionnaire !

Avez-vous discuté de la possibilité de participer à un gouvernement ?

Oui, mais on est très clair : on ne participera pas au gouvernement. Je crois que la première fois que l’on s’est posé cette question et où on a clarifié notre position est quand on a eu des députés qui pesaient au Parlement. On a mis une motion de censure au Parlement : ‘nous approuvons votre budget si vous faites…’ en donnant une liste de revendications anti-libérales. Je crois qu’il est très important d’avoir l’intelligence de faire le premier pas. De dire qu’on est pas là simplement pour dire non, même si nos positions, en rupture avec le modèle néolibéral, ne vont jamais être approuvées. C’est un message à l’opinion publique qu’il y a une alternative politique et que ce sont eux qui ne veulent pas l’appliquer. Le PS a préféré négocier le budget avec un petit parti de droite et a eu le soutien d’un de leur député parce qu’ils ont cédé un statut spécial à sa région. Degré zéro de la politique ! C’est très clair qu’on ne fera des alliances qu’avec un programme de transition, fait de mesures qui pourraient rompre avec les politiques néolibérales, sur des sujets fondamentaux au Portugal : droits des immigrés, services publics, réforme fiscale... Un programme qui exprimerait une rupture avec le néolibéralisme, avec des propositions concrètes pour un gouvernement social, de gauche, réformiste bien sûr, mais avec des réformes que le parti socialiste n’accepte pas… On est ici pour construire l’alternative.

Quand on t’entend, on a l’impression que le Bloc de gauche fonctionne très bien, que vous êtes souvent d’accord… Est-ce qu’il y a des questions qui créent des tensions dans cette coalition ?

Parmi les courants qui ont fondé le Bloc il y a un très grand consensus. En ce moment on grandit, et je crois qu’on aura plus de tensions de cet ordre. Le seul débat qu’il y ait eu a été a notre dernier congrès. Une des 2 listes pour la direction rassemblait les mécontents sur la question du fonctionnement démocratique. C’était des personnes des organisations locales qui pensaient qu’elles ne participaient pas assez dans la prise de décision. Même s’ils ne proposent pas de solution je partage une partie de leur analyse sur cette question. Mais cette liste a eu 5 % des voix. C’est donc un courant très minoritaire.

Il y a un courant divergent dans le Bloc, ‘la rupture’, qui est orchestré par la Ligue internationale des travailleurs, un courant ouvriériste, qui dit que l’avortement n’est pas une priorité, etc. Elle n’a pas proposé de thèses mais des amendements aux thèses majoritaires. Les 2 principaux (mais qui ont été rejetés) étant : la non participation au parti européen de la gauche et le refus de toute coalition avec le PS pour les élections municipales. Pourtant, même eux ont voté pour la participation à une coalition avec le PS et le PC dans une île portugaise où sévit un régime antidémocratique, avec la même personne au pouvoir depuis le fascisme… C’est une question d’hygiène démocratique comme vous diriez en France sur le FN. Il ne s’agissait donc pas d’un désaccord fondamental sur l’orientation du Bloc.

Parmi les jeunes, on a eu 2 listes pour la direction nationale à la dernière conférence nationale des jeunes. Une dont je faisais partie et une autre qui a été minoritaire, mais qui avait un grand rapport avec ce groupe, ‘rupture’. Notre liste s’appelait ‘toutes les couleurs de l’alternative’, et on mettait l’accent sur la multiplicité des agressions et donc sur la nécessité de faire de la lutte politique sur divers front (femmes, gays et lesbiennes, travailleurs, étudiants, immigrés…). L’autre liste disait qu’il fallait choisir des priorités. De mon point de vue, leur vision hiérarchisait les luttes en les soumettant à la lutte de classes. C’était très explicite sur la question des femmes. Par exemple l’avortement était selon eux une question importante, mais autant pour les femmes bourgeoises que pour les femmes ouvrières, il fallait donc choisir des questions plus spécifiquement ouvrières. Je crois que la grande différence était là. On veut continuer le Bloc dans l’orientation initiale, d’un parti ouvert où se mélangent plusieurs luttes, eux veulent plutôt un modèle ouvrier… Je crois qu’ils ont fait cette liste là car c’est un courant qui a des méfiances par rapport à la direction, et ils veulent se construire d’abord eux comme courant révolutionnaire pur, et ensuite le Bloc. C’est une posture opposée à celle du reste des membres du Bloc, dont moi qui ne fais partie d’aucun des courant à l’origine du Bloc. On veut construire le Bloc en tant que tel, et je crois que c’est pour ça que le Bloc a eu autant de succès. Au Bloc, on dit qu’on n’est pas de passage. Le Bloc, ce n’est pas la fin de l’histoire, mais c’est un mouvement à construire en tant que tel. En même temps les membres de ce courant sont mes camarades et je dois leur faire confiance…

Est-ce que les autres courants ont cessé d’exister ou est-ce qu’il y a encore une différence entre ceux qui en étaient membres et ceux qui n’étaient pas organisés  ?

Non, ils ont tous cessé d’exister en tant que parti et se sont transformés en courants politiques dans le Bloc de gauche. Ils ont créé des écoles de formation et ont des magasines au sein du Bloc. Bien sûr ils ont des liens, ils font des réunions mais il n’y a pas de différence entre membres d’un courant et membres du Bloc seulement.

Pourtant le Bloc s’était créé avec l’idée que chacun pouvait garder son identité. Aujourd’hui vous avez dépassé ça en fait…

Oui, on l’a dépassé par la pratique. C’est pas quelque chose d’artificiel. Notre analyse de la situation et le travail en commun ont permis que chaque courant se modifie au contact des autres… Deux exemples : l’UDP n’avait pas de tradition sur le sujet des gays et des lesbiennes, et ils se sont appropriés cette lutte par le contact. Du coté du PSR, ils n’avaient pas, je crois, d’intervention organisée dans la centrale syndicale. ça aussi a évolué, par la pratique. Il reste malgré tout différentes traditions…

Il y a eu en Europe ces dernières années d’énormes mouvement : contre la guerre en Angleterre, Mai-Juin 2003 puis la campagne pour le non en France, question du chômage en Allemagne, grève générale en Italie… Que se passe-t-il au Portugal sur ce plan là ?

Il y a eu un mouvement important contre la guerre, où le Bloc a eu un rôle très actif. C’est un mouvement où le PS a participé avec un pied dedans un pied en dehors. Leur position était « cette guerre est illégale », pour nous le problème était la guerre, pas la position de l’ONU dessus !

Les jeunes du Bloc étaient engagés sur les facs contre l’augmentation des frais d’inscription (de 200 € à 800 € !). Il y a eu une manif à Lisbonne avec 15 000 étudiants mais le mouvement a perdu de la force avec les vacances. Il y a eu des cas d’action directe contre les directeurs d’universités (dont certains du PC) qui ont appliqué la réforme, en envahissant leurs bureaux.

Il y a eu aussi un mouvement important pour recueillir des signatures pour faire un nouveau référendum pour le droit à l’avortement. On a là aussi eu des divergences avec le PC qui voulait que la loi change au Parlement. Nous pensons que ce gouvernement de droite ne changera pas la loi, il n’y a qu’un mouvement populaire qui implique des gens dans la campagne pour un référendum qui pourra faire évoluer cette question. On a recueilli 150 000 signatures. Il en fallait 310 000. Mais c’est la première fois qu’une telle initiative ne venait pas des partis, mais de la société civile. Et c’est le Bloc, avec des organisations féministes mais sans le PC, qui a mené cette campagne, mais pas en tant que Bloc, en tant que campagne citoyenne.

Il y eu aussi une grève générale. Le gouvernement a fait un nouveau code du travail néolibéral, en réformant toutes les lois du travail. Avec ce nouveau code les contrats précaires peuvent être prolongés dans le temps, il fait commencer à 23h le travail de nuit, il donne plus de pouvoir aux patrons dans les négociations, il permet que les licenciements se fassent d’une façon plus libre... La grève générale (la première depuis 1986), a été convoquée seulement par une des 2 centrales syndicales mais ça n’a pas empêché qu’elle soit très suivie dans l’ensemble des secteurs d’emploi, ce qui n’a pas suffi à arrêter la réforme. Le PC était contre l’implication des étudiants et on n’a pas réussi à la généraliser à d’autres secteurs (étudiants, etc.).


Partagez

Contact

Liens

  • npa2009.org

    Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).

  • contretemps.eu

    Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.

  • inprecor

    Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.

  • isj.org.uk

    International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.

  • lcr-lagauche.be

    Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.

  • marxists.org

    Base de données de référence pour les textes marxistes.

  • npa-formation.org

    Le site de la commission nationale formation du NPA.


Site propulsé par SPIP | Plan du site | RSS | Espace privé