Une question centrale

Extrait de l’intervention de Ken Loach pour Agir Contre la Guerre

2 octobre 2009

Le 21 mai dernier, Agir Contre la Guerre (ACG) invitait Ken Loach à Paris pour une projection/débat autour de son dernier film : « Le vent se lève ». Réalisateur à l’oeuvre engagée, figure emblématique du mouvement anti-guerre en Grande-Bretagne, Ken Loach a déjà réalisé plusieurs films traitant de la guerre (Espagne, Irlande), en plus de ses films sur la classe ouvrière. Le pari fut réussi, entre 800 et 1000 personnes ont assisté au débat et une centaine ont laissé leur coordonnées pour construire le mouvement anti-guerre. Le débat a tourné autour des questions anti-guerre mais aussi anti-Sarko. Ainsi, cet événement démontre qu’il est aujourd’hui possible et nécessaire de remettre la question anti-guerre sur le devant de la scène.

Traduction de Christakis Georgiou

Je parle de l’Irak sans connaissances particulières mais en tant que militant de base du mouvement anti-guerre en Grande-Bretagne. Ce qui est en train de s’y passer est assez grave :
Un officier des renseignements généraux a été cité cette semaine, il explique que les milices contrôlent les principaux ports, les principaux terminaux pétroliers et que la contrebande de pétrole est une affaire banale. Un politicien a été cité et a dit que si Basrah est calme, c’est parce que ce sont les milices qui la contrôlent et qui la pillent. Nous savons que les estimations quant au nombre de morts depuis le début de la guerre s’élèvent à 650 000. Et nous savons que des dizaines de milliers de personnes partent tous les mois. Et nous sommes tous familiers avec les images quotidiennes des tueries, des blessures, des tragédies.

Mais il y a une bonne nouvelle : le prince Harry n’y va pas... , je pense que c’est dommage ! C’était très bien, autrefois, lorsque c’était la famille royale qui menait les troupes à la bataille. Je pense qu’il devrait y aller et que ce serait encore mieux si Tony Blair y allait avec lui ! Parce que s’il devait participer à la guerre, nous n’en aurions pas !

Guerre criminelle...

La guerre contre l’Irak constitue un crime. C’est important, quatre ans après son début, d’insister sur cela. La charte des Nations unies est très claire : l’article 2-4 dit : « Tous les membres s’abstiendront de l’usage ou de la menace de la force contre l’intégrité territoriale ou politique et l’indépendance de tout autre état  ». Il s’agit là, très clairement, d’une infraction à cette charte. Le tribunal de Nuremberg, qui est une des sources principales du droit international, est encore plus clair : « Initier une guerre d’agression est le crime international suprême ».

Donc, cette guerre constitue un acte monstrueux d’illégalité. Ce n’est pas simplement une question académique : si nous détruisons les institutions de droit international, nous ne pouvons faire face à aucun des problèmes auxquels le monde est confronté aujourd’hui. Si nous n’avons pas de cour de justice internationale, nous ne pouvons gérer les problèmes de transgression des droits de l’homme dans les pays sous dictature. Nous ne pouvons pas affronter le grand problème qu’est la destruction de l’environnement. En bafouant le droit international, les Etats-Unis se montrent le premier danger pour la paix internationale.
Nous avons deux revendications qui sont centrales pour la gauche en Europe. La première est la restructuration des Nations unies pour qu’elles puissent refléter la volonté de tous les pays du monde. La deuxième est qu’aucune alliance et aucun compromis ne se fasse avec le gouvernement américain actuel. Refondation Communiste en Italie s’est divisée précisément sur cette question ainsi que sur la question de la nouvelle base américaine en Italie. Il faut que nous soutenions ceux qui refusent les bases américaines.

... Pour le profit

Mais, pourquoi cette guerre a-t-elle eu lieu ? L’allégation de l’existence d’armes de destruction massive est un mensonge. Le prétexte de défense des droits de l’homme est un mensonge parce que les Etats-Unis et l’Occident ont soutenu Saddam quand il réprimait son peuple. Et, prétendre y être pour établir la démocratie est un mensonge, parce que les irakiens sont exclus des décisions concernant leur économie. La véritable raison était l’extension de la domination économique et politique des États-Unis et de leurs multinationales.

Naomi Klein l’a très bien dit : « La guerre se fait pour le pétrole, l’eau, les infrastructures routières, les chemins de fer, les télécommunications, les infrastructures portuaires et la drogue ». Cette stratégie avait été élaborée bien avant que George W. Bush ne prenne le pouvoir : elle a été élaborée par un lobby appelé le « Projet pour le Nouveau Siècle Américain ». Des gens de la gauche molle disent que nous pouvons arracher tel ou tel compromis. Mais il est crucial de se rappeler la force de nos adversaires : ce sont des gens comme Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz, etc. Leur but stratégique est de façonner le nouveau siècle en fonction des intérêts et principes américains. Ils ont annoncé leur intention de faire tomber Saddam pour mettre la main sur le pétrole irakien.

Dans un autre document se trouve cette phrase : « Les États-Unis doivent décourager les autres nations industrialisées avancées de défier le leadership américain ou de même aspirer à un rôle régional ou global plus important ». Il s’agit là d’un impérialisme féroce et nous ne devons pas sous-estimer la détermination de ces gens-là à s’agripper à leur pouvoir. Nous l’avons vu très clairement quand l’Autorité provisoire a été mise en place en Irak. L’une des premières choses qu’avaient dites Wolfowitz était que les Nations unies n’auraient aucun rôle à jouer dans l’Autorité provisoire. 190 sociétés d’état ont été créées pour ensuite être vendues au privé. Il y a un article écrit par l’académicien Michael Schwartz qui explique cette situation. Il décrit comment les multinationales sont entrées dans l’économie irakienne, en faisant énormément baisser les prix des produits des industries locales. Les industries locales ont dû fermer. L’économie a subi des pertes importantes à cause de l’afflux des produits bon marché introduits par les multinationales. Et naturellement, il y a eu ensuite apparition du chômage de masse, qui a augmenté du fait de la dissolution de l’armée irakienne. Selon les endroits, le chômage atteignait entre 30 % et 60 %. Les gens ont commencé à demander de l’aide à l’Autorité provisoire, il y a eu des protestations pacifiques. Mais bien sûr, la réponse a été la brutalité militaire. Il y a eu des arrestations dont le résultat a été la torture dans des prisons comme Abu Ghraib et les massacres comme à Hadifa.

Donc, la manière dont l’économie irakienne a été transformée a détruit une bonne partie de l’infrastructure et de la société civile irakienne. Cela atteint son apogée avec la tentative actuelle de faire passer une loi qui aura comme conséquence que les profits provenant du pétrole quitteront le pays. Cela donnera aux multinationales des droits exclusifs sur les recherches et l’exploitation des ressources pétrolières. En théorie, le pétrole continuera d’appartenir aux irakiens. Mais la réalité est que l’argent quittera l’Irak pour les caisses des multinationales. Cette loi est le résultat d’une campagne massive menée par les multinationales auprès des gouvernements américain et britannique. Cela dure depuis cinq ans maintenant.

Pour ce qui est de la démocratie, les politiciens irakiens ont eu connaissance de ces projets seulement en février. Il y a des pressions sur le Premier ministre Al-Maliki pour que passe cette loi, sinon il devra partir. C’est clairement pour cela que les anglo-américains sont rentrés en guerre : pour voler les ressources du peuple irakien.

La résistance s’organise

Mais il y a une vraie bonne nouvelle : les travailleurs du pétrole sont organisés et résistent. Les syndicats sont les éléments les plus progressistes en Irak. Ils s’opposent à cette nouvelle loi sur le pétrole et à l’occupation. Le président du syndicat du pétrole de Basrah, Hassan Jumaa, est venu en Grande-Bretagne pour des meetings, et c’est quelqu’un que nous devons soutenir. Il faut, en tant que mouvement anti-guerre, que nous soutenions les travailleurs du pétrole en Irak. Ils ont aussi besoin du soutien de nos propres syndicats. Quelle journée ce serait celle où nos syndicats utiliseraient leur force pour soutenir les syndicats irakiens ! Là, nous aurions de la vraie solidarité !

Je pense que c’est ce qui nécessite que le mouvement anti-guerre se renforce et renaisse en ce moment. Parce qu’il ne s’agit pas d’un mouvement nostalgique d’un événement qui a eu lieu en 2003, et que cette question [la guerre en Irak] est au centre de la politique internationale aujourd’hui. Le défi aujourd’hui est de créer un mouvement international des travailleurs. Ce doit être un mouvement qui utilise sa force dans les lieux de travail et où les syndicats ne font pas que passer des résolutions et aller à des meetings.

Sarkozy, notre Thatcher ?

Je pense que c’est crucial pour vous ici : vous êtes maintenant malheureusement en première ligne. Vous avez votre Margaret Thatcher maintenant. Outre-Manche, on craint un assaut frontal sur les droits syndicaux et un alignement sur la politique de Bush. Ce serait un désastre.

Quand Thatcher est arrivée au pouvoir, elle disait les mêmes choses « les syndicats sont très puissants, la Grande-Bretagne doit se moderniser, les travailleurs nous font du chantage ». Elle avait trois principales façons d’attaquer. Tout d’abord, il y a eu toute une série de fermetures d’usines, et la restructuration de certaines industries, provoquant du chômage de masse. Puis, elle a fait voter des lois antisyndicales, qui rendaient plus difficile l’action des travailleurs. Enfin les syndicats faibles étaient encouragés à faire grève pour subir des défaites.

Jusqu’à ce que le gouvernement soit assez fort pour attaquer les syndicats plus combatifs : les mineurs. La leçon péniblement apprise était que ce qu’il nous faut est une direction syndicale unie et combative. Mais vos syndicats n’ont encore pas subi la défaite définitive. Et la meilleure manière de soutenir les syndicalistes irakiens est de vaincre le libéralisme ici. Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit du même combat. Parce que c’est le libéralisme qui les a poussés à la guerre. Et ce sera le libéralisme qui s’attaquera à votre mouvement syndical. C’est le même ennemi, et nous avons besoin d’une riposte unie et forte contre le libéralisme.


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