Éditorial du numéro 8

Serons-nous prêts ?

par Denis Godard

8 octobre 2009

Personne n’avait prévu Mai 68, ses barricades et ses 10 millions de grévistes. C’est d’ailleurs une constante historique pour toutes les périodes de soulèvement de masse. Cela ne signifie pourtant pas que ces périodes sont des « accidents » de l’histoire. Les analyses montrent les éléments de crise qui ont précédé les événements de mai - la crise de l’impérialisme, le début de retournement de la conjoncture économique, le retour de luttes ouvrières...

On peut souhaiter un mouvement de cette ampleur. On peut analyser les conditions qui le rendent possible. Mais personne ne peut le décréter.

Les processus de la lutte de classe sont une combinaison entre accumulation de contradictions sociales, accumulation de luttes comme celles que connaît la France depuis une dizaine d’années et explosions soudaines.

Qui pourrait prétendre qu’une explosion sociale est inconcevable en France dans les mois et les années qui viennent ?

La question qui se pose aux révolutionnaires n’est donc pas de savoir comment déclencher une situation de ce type. Elle est plutôt de construire les conditions qui permettront d’en faire naître des avancées dans une perspective révolutionnaire.

À l’été 1905 Lénine écrivait :

Il est certain que la révolution nous instruira, qu’elle instruira les masses populaires. Mais la question qui se pose maintenant devant le parti politique en lutte, c’est de savoir si nous saurons enseigner quelque chose à la révolution.

C’est aussi à répondre à cette question que doivent servir les débats sur Mai 68. Car Mai 68 a illustré, par la négative, le fait que, si les périodes de déstabilisation profonde de la société débutent toujours de manière spontanée, la direction que prend le mouvement dépend largement des alternatives politiques qui s’y construisent.

En 1968, le parti communiste, dominant dans la classe ouvrière a été déterminant pour empêcher le mouvement de grève de développer toutes ses potentialités (en isolant largement la minorité révolution­naire des travailleurs en lutte, en pesant pour limiter la généralisation politique des revendications de la grève et en soutenant de tout son poids l’issue électorale de juin).

Le PCF avait construit, au sein de la classe ouvrière une légitimité et une implantation qui ne pouvaient être entamées que par une combinaison entre des tests importants de sa politique et l’existence d’une alternative. Il y a bien entendu un lien entre ces deux facteurs. En l’absence de direction alternative, l’hégémonie du PCF a empêché le mouvement de se développer suffisamment pour démasquer sa politique. Victoire à la Pyrrhus : les brèches ouvertes par Mai 68 n’ont plus cessé de s’accroître.

Cette domination du PCF est révolue. Considérant le rôle historique qu’il a joué, c’est un avantage.

Mais l’effondrement du PCF n’a pas été compensé par le développement d’organisations syndicales, associatives, culturelles et politiques permettant d’unir la classe pour résister à la hauteur des attaques de l’État et des patrons.

Imaginons qu’aujourd’hui un parti anticapitaliste organise des centaines de milliers de militant-e-s et de sympathisant-e-s dans nos quartiers, nos entreprises, nos écoles, nos universités. Ces militant-e-s seraient aussi dans leur majorité des syndicalistes et des militant-e-s associatifs collaborant avec des centaines de milliers d’autres, irriguant les syndicats et les associations d’une tradition plus combative et plus démocratique, mettant sous pression les directions syndicales. Ce parti aurait aussi des élus dans les municipalités, la possibilité d’organiser des réunions, des meetings, des campagnes de presse massives. Il n’est pas difficile d’imaginer alors ce qu’une telle organisation permettrait pour construire le rapport de forces contre le gouvernement à l’occasion par exemple d’un mouvement comme celui des grévistes sans-papiers. C’est cela qu’il faut préparer.

Il n’est pas question ici de prétendre que le processus de construction du nouveau parti anticapitaliste est le remède miracle pour construire une telle force.

Tout d’abord parce que la construction d’un tel parti n’a rien d’automatique. La situation actuelle montre que là où les sec tions de la LCR se sont engagées résolument et de manière ouverte les résultats sont conséquents. Mais ces expériences montrent aussi que l’équilibre est parfois difficile à trouver entre la nécessité de ne pas détacher la construction des comités d’initiative de l’intervention dans les luttes (ce qui suppose des positions communes) et le respect d’un processus d’élaboration collective de ces positions. Cependant les réponses ne pourront être trouvées hors de l’expérience elle-même.

Ensuite parce qu’on ne passe pas de (presque) rien à des centaines de milliers. Organiser dix mille ou quinze mille militant-e-s sera déterminant pour convaincre des dizaines de milliers d’autres notamment des syndicalistes qui observent ce processus avec attention mais qui attendent de voir le sérieux de la démarche pour s’y investir.

Enfin parce que le développement et le succès de ce processus dépendra aussi en partie de l’évolution de la situation (et notamment des luttes) et de la capacité de ce nouveau parti à y démontrer son utilité.

L’initiative lancée par la LCR est la seule tentative conséquente pour répondre à l’enjeu de la situation. Comme l’explique Daniel Bensaïd dans sa contribution sur Mai 68 faite à la réunion des jeunes pour un nouveau parti (vidéo à consulter de toute urgence sur le site de la LCR), dans certaines périodes les révolutionnaires doivent oser.

L’audace ne tolère pas l’hésitation, elle exige une tension de toutes nos forces. C’est toute l’organisation qui doit s’engager. Mais l’audace n’empêche pas de garder la tête froide. La période qui vient exigera bien plus des révolutionnaires, plus de cohésion et plus de clarté dans leurs analyses et leurs arguments.

La construction d’un parti anticapitaliste n’est pas un substitut au développement d’une théorie révolutionnaire. Au contraire. Les discussions menées dans les comités d’initiative le démontrent en soulevant toutes les questions essentielles sur l’analyse du capitalisme et la stratégie pour le renverser, les bases d’un autre système...

Ces questions sont en soi déjà une exigence pour les révolutionnaires, l’exigence de se clarifier pour convaincre mais aussi l’exigence d’écouter et de devoir élaborer. C’est à cette condition que nous serons capables non seulement d’impulser un nouveau parti anticapitaliste mais d’y gagner la possibilité de construire une direction révolutionnaire pour la classe.


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