Les étudiants, les intellectuels et la lutte des classes

Retour sur l’analyse d’Ernest Mandel

par Gildas Viaouet

20 octobre 2009

Avant-propos

Le mouvement du CPE a révélé qu’il était possible d’établir une convergence dans la rue entre les travailleurs et les étudiants contre une réforme du gouvernement. Bien plus que cela, c’est précisément le mouvement étudiant qui a réussi à entraîner consciemment les travailleurs dans la lutte. Cependant, le milieu étudiant se polarise : en effet, une minorité d’étudiants, pendant le mouvement contre la LRU, s’est rangée du côté des flics et les applaudissaient en chantant la Marseillaise quand ils tabassaient les grévistes pour débloquer la fac (Nanterre, Tolbiac...), chose difficilement imaginable dans une entreprise en grève. Le développement des mouvements sociaux dans la jeunesse en France doit nous interpeller sur le rôle de ceux-ci pour le développement de la lutte de classes en général, et doit nous pousser à analyser le rôle social des étudiants, dans un contexte de réformes néolibérales, de remontées des résistances (Banlieues, CPE, LRU) et de polarisation sociale dans l’ensemble de la société. Les articles suivants ont été écrits afin de contribuer à renouveler ce débat, dans la LCR, et dans le NPA. Les révolutionnaires de Mai 68 ont été, eux aussi, confrontés à la révolte étudiante et aux questions universitaires. Il est aujourd’hui nécessaire de s’appuyer sur les expériences et les élaborations du passé, pour écrire l’histoire au présent.

C’est dans ce sens que nous avons choisi d’aborder les questions étudiantes par le biais des analyses de Mai 68.

L’objectif est de se réapproprier le débat politique. Ces articles ne se veulent pas exhaustifs, mais constituent une première approche, à développer, de deux questions essentielles.

La transformation structurelle du capitalisme d’après-guerre, par les défaites historiques de la classe ouvrière face au fascisme et par la hausse du taux de profit et l’accélération de l’innovation technologique, entraîne une intégration de plus en plus grande du travail intellectuel et du travail manuel. Ce processus entraîne à son tour une modification du rôle social des étudiants et des intellectuels. Aujourd’hui que pouvons-nous retenir des analyses de Bensaïd, Weber et Mandel pour appréhender les réformes et les évolutions structurelles du capitalisme contemporain ?

Ces réformes pèsent sur l’intelligentsia et les étudiants car elles modifient leur rôle social. Comprendre les évolutions de ces dynamiques est la première étape pour les contrer. Plusieurs séries de questions sont ouvertes. Jamais plus qu’aujourd’hui le travail intellectuel n’a été à ce point intégré dans le travail manuel. Jamais autant d’étudiants n’ont été mêlés aussi directement au processus de production. Une grande part d’étudiants venant des couches sociales les plus modestes, le salariat étudiant, l’avenir social des étudiants sont des facteurs objectifs qui lient les étudiants à la classe ouvrière. Mais les étudiants n’y sont pas liés en tant qu’étudiants. Ils y sont liés, du fait du caractère transitoire de leur situation sociale, par leurs origines, par leur avenir ou par leur travail. Un des plus grands moteurs de la révolte est justement la prise de conscience que leurs études ne les conduiront pas à s’élever au-dessus de leur origine de classe. Mais malgré la capacité de révolte du milieu étudiant, les organisations syndicales et politiques ne parviennent pas à structurer la spontanéité de cette jeunesse. Nous avons besoin de comprendre comment articuler l’atomisation du milieu étudiant, sa capacité spontanée à se révolter brutalement, pour homogénéiser et structurer la rébellion, pour transformer cette révolte spontanée en outil pour la construction de l’hégémonie de la classe ouvrière.

Les étudiants, les intellectuels et la lutte des classes [1]

Cette brochure est le condensé de conférences prononcées par le révolutionnaire belge en septembre et en octobre 68, dans une trentaine de facs des États-Unis et du Canada. Mandel tente de répondre à deux questions principales, la crise de l’université bourgeoise et du coup la mutation du rôle social des intellectuels et des étudiants dans la lutte des classes et la transformation révolutionnaire de la société. Ainsi pour Mandel les mouvements étudiants du monde entier des années 68 à la fois révèlent une mutation profonde des rapports de production de la bourgeoisie (« le troisième âge du capitalisme ») mais y compris démontrent la centrante de la classe ouvrière et la nécessité d’un parti révolutionnaire pour prendre le pouvoir.

Pour Mandel, en 68, le nouveau rôle des universités bourgeoises est de favoriser la « prolétarisation » des intellectuels. « La prolétarisation ne signifie pas essentiellement (et dans certains cas pas du tout) une consommation limitée et un bas niveau de vie, mais une aliénation croissante, la perte d’accès aux moyens de travail et de contrôle des conditions de travail, une subordination croissante du travailleur à des exigences qui n’ont plus aucun lien avec ses talents ou ses besoins propres ».

Après avoir introduit sa brochure sur le renouvellement des luttes étudiantes, l’importance de l’unité entre la théorie et la pratique, la capacité du mouvement étudiant international à re-découvrir de manière vivante les bases du mouvement socialiste et la nécessité des convergences pour lutter contre la conscience parcellarisée - du coup l’importance d’une organisation révolutionnaire - Mandel développe son exposé en soulignant le fait que le rôle de l’université s’est progressivement modifié entre la fin de la seconde guerre mondiale et les années 60. La fonction première de la fac était effectivement de donner aux fils les plus brillants de la classe dirigeante l’éducation classique voulue et les moyens de diriger efficacement l’industrie, la nation, les colonies et l’armée : « Former à la pensée méthodique, développer des règles d’érudition indépendante, fournir une base culturelle de classe commune et, sur cette base, assurer les liens informels entre les différentes élites (le système du « lien entre les anciens condisciples »), tel était le rôle essentiel de l’enseignement universitaire pour la grosse majorité des étudiants ».

Ce que Mandel appelle le « néo-capitalisme » a brutalement modifié cet état de fait. Deux des facteurs principaux sont :

- le besoin de main d’œuvre spécialisée dans l’industrie et dans un appareil d’état en augmentation ;

- la nécessité de répondre à la demande croissante d’études supérieures comme moyen de promotion sociale provoquée par l’augmentation du niveau de vie.

Les nouvelles universités

Les années 60 sont marquées par de fortes explosions sociales, notamment dans lajeu-nesse. Le nombre d’étudiants est multiplié par trois en Europe entre 1950 et 1965. Dans le monde, on compte alors jusqu’à 6 millions d’étudiants aux États-Unis, 3 millions en Europe de l’Ouest, 1,5 million en Russie, plus d’1 million au Japon. Les vieilles universités vétustés ne peuvent accueillir ces étudiants. Dans le même temps, la fin de la guerre d’Algérie, la révolution cubaine et les comités Solidarité Vietnam marquent considérablement le milieu étudiant. En 1962, l’Unef organisait un étudiant sur deux, alors que c’était la principale organisation étudiante, et une des rares du mouvement ouvrier en général, à se battre pour le droit à l’indépendance de l’Algérie. L’inadaptation de la vieille université, en terme de contenu pédagogique, d’infrastructure matérielle, ou encore d’organisation administrative a été considérée comme la première cause de la révolte étudiante internationale. Pour résoudre la crise universitaire, la société décida de forcer l’université à s’adapter aux besoins nouveaux de la classe dirigeante, notamment au moyen de réformes structurelles et technocratiques.

Il se développe un véritable marché du travail pour diplômés de l’enseignement supérieur, par exemple le rôle de technicien surveillant les opérations de productions automatisées. Pour que l’université puisse remplir cette fonction de former des spécialistes salariés, il faut réformer l’enseignement supérieur dans un sens fonctionnel. La campagne pour adapter les vieilles facs aux besoins pratiques est encouragée par tous les moyens, et poussée à l’extrême lorsque l’enseignement et la recherche universitaire sont subordonnés aux projets spécifiques des grandes firmes. La révolte étudiante n’est pas seulement une révolte contre l’incapacité de la vieille université à s’adapter : c’est aussi une révolte contre la tentative, trop bien réussie, de subordonner cette adaptation aux exigences et aux intérêts du capitalisme.

Contradictions

« La sur-spécialisation, l’instrumentalisation et la prolétarisation du travail intellectuel sont les manifestations objectives de l’aliénation croissante du travail et amènent inévitablement à une conscience subjective croissante de cette aliénation. L’impression de perdre tout contrôle sur le contenu et le déroulement de son propre travail est aussi répandue de nos jours chez les soit-disant spécialistes, y compris ceux qui sortent de l’université, que chez les travailleurs manuels ». La reconnaissance de cette aliénation par les étudiants eux-mêmes, liée à un malaise provoqué par les structures autoritaires de l’université, joue un grand rôle comme force motrice de la révolte.

Après deux guerres mondiales, des crises économiques et sociales innombrables, et plusieurs révolutions, l’ordre bourgeois est beaucoup moins stable qu’auparavant. De fait la fonction du savoir bourgeois n’est plus de faire l’apologie théorique du système, mais de surmonter concrètement les crises. Pour cette raison il devient plus facile, dans l’université, de critiquer l’ordre établi qui n’apparaît plus comme évident mais seulement un modèle de société possible parmi d’autres.

L’explosion

Cela donne une importance à trois grands facteurs qui ont provoqué le malaise étudiant. Le mécontentement croissant face à la société contemporaine, amplifié chez les étudiants par la réforme autoritaire de l’université, et le renoncement des partis ouvriers traditionnels (négation par les staliniens des capacités révolutionnaires de la jeunesse et de la jeunesse scolarisée en particulier, négation en général des capacités politiques de la classe ouvrière à prendre le pouvoir, théories notamment développées par Marcuse et les réformistes) poussent les jeunes à trouver d’autres vecteurs pour exprimer la révolte. Les étudiants critiques n’ont pas de possibilité de construire une opposition radicale et un affrontement, dans les infrastructures de la société elle-même, ni dans celles de la classe ouvrière (partis, parlement, mass médias). Ils tentent donc de construire cette opposition en dehors de ces structures. Cependant, ils n’ont ni la masse, ni le poids social nécessaire pour transformer eux-mêmes la société.

Pour Mandel en 68, les universités sont prises entre deux forces opposées : d’une part la réforme technocratique est mise en place de l’extérieur dans l’intérêt de la classe dirigeante, de l’autre une opposition radicale prend naissance dans le cœur même de ces universités, mais en l’absence de soutien et d’appui venant d’autres secteurs de la société, elle s’enlise dans l’utopie et l’impuissance. L’exemple de mai 1968 révèle cependant que ces révoltes, en montrant à la classe ouvrière d’autres voies de contestation que ses structures traditionnelles, peuvent servir de détonateur dans l’ensemble de la société.

Le rôle des étudiants comme force motrice et initiatrice de mouvements de révoltes globales ne date pas de mai 68. Marx, Lénine, Trotski étaient plus des intellectuels que des travailleurs manuels.

La prolétarisation du travail intellectuel

Selon Mandel, le «  néo-capitalisme » est fondé sur une révolution technologique. L’axe de cette révolution est l’automatisation, l’électronique et l’énergie nucléaire, alors que la première révolution technologique tournait autour du moteur à vapeur et la seconde autour du moteur électrique. Le moteur du mode de production capitaliste est l’accumulation du capital au moyen de la réalisation et de la capitalisation du profit. Les découvertes scientifiques ne se traduisent en innovations que si leur application au processus de production est rentable. Son application à la production est plus que jamais, pour Mandel, subordonnée à l’impératif de profit. Ainsi, beaucoup de découvertes scientifiques à la base du développement du «  néo-capitalisme  » ont été faites avant la seconde guerre mondiale. Qu’elles n’aient été appliquées que plus tard n’est pas dû à la présence d’obstacles technologiques, mais à leur rentabilité insuffisante à ce moment. « Ce furent les grandes défaites de la classe ouvrière internationale devant le fascisme, la guerre et la guerre froide qui permirent, à partir de 1945, à l’impérialisme de se relever après vingt ou vingt-cinq ans de stagnation. Ces défaites ont rendu possible un accroissement considérable du taux de la plus-value des capitalistes, et par-là même, du taux de profit. C’est cette hausse du taux de profit qui a permis la relance de la croissance économique ».

Un des aspects de la crise du capitalisme est, pour Mandel, la crise des rapports de production et particulièrement des contradictions croissantes qui résultent de la prolétarisation du travail intellectuel. Au niveau historique, le déclin du capitalisme a donné lieu à deux phénomènes qui se complètent mutuellement : l’incapacité à développer le tiers-monde, et l’incapacité à intégrer le travail intellectuel - la science - au processus de production. Le capitalisme ne développe la production que sous l’impératif de profit. La concurrence tend à égaliser le taux de profit des entreprises. Le développement des forces productives tend à réduire globalement le taux moyen de profit, et la concentration de capitaux entraîne de la part des grands monopoles une course continue vers l’obtention de surprofits. Avant la première guerre mondiale, les surprofits coloniaux étaient la principale forme du surprofit général. Dans les années 70 ils étaient même, dans certains secteurs, plus importants en montant qu’avant 1914. Mais la paupérisation relative des pays semi-coloniaux et l’extension des révolutions nationales et anti-impérialistes tendent à relativiser la part des surprofits coloniaux dans l’ensemble des bénéfices des monopoles impérialistes. A l’époque où Mandel écrit sa brochure, ce sont les surprofits basés sur les rentes technologiques qui occupent la première place des surprofits. Ce que Mandel appelle le « néo-capitalisme » est ainsi apparu comme une phase du mode de production capitaliste caractérisée par une course permanente vers l’obtention de rentes technologiques, ce qui a entraîné une accélération de l’innovation technologique.

L’innovation technologique

Deux aspects importants du « néo-capitalisme » apparaissent avec cette accélération de l’innovation technologique, tant au niveau économique que social.

D’une part cette accélération conduit à une obsolescence rapide des machines et des équipements. Les monopoles se retrouvent dans l’obligation de renouveler plus rapidement leur capital fixe. De là une planification plus stricte des amortissements, des investissements, des coûts et des profits au sein de chaque monopole, ce qui conduit les États bourgeois à un effort de programmation économique, c’est-à-dire à la tentative de coordonner au niveau national les plans privés des monopoles - et de fait une intervention croissante de l’État dans la vie économique en général.

D’autre part, la course à la rente technologique implique une croissance colossale des dépenses de recherche et de développement. Aux USA, ces dépenses sont passées de 100 millions de dollars en 1928 à 5 milliards en 1953, à 12 milliards en 1959, et à 21 milliards en 1970. Parallèlement, le nombre de savants américains travaillant dans le domaine de la recherche est passé de 87 000 en 1941 à 387 000 en 1967 et à plus de 500 000 en 1970.

Ces deux aspects du « néo-capitalisme » ont des répercussions importantes sur sa tendance à prolétariser le travail intellectuel. L’accélération de l’innovation technologique implique une intégration à grande échelle du travail intellectuel dans le processus de production. Alors que le travail intellectuel était jusque-là limité à la sphère de la superstructure sociale, il est de plus en plus orienté vers l’infrastructure de la société. Cette réintégration du travail intellectuel dans le processus de production revêt d’une part la forme d’un accroissement constant du nombre d’ingénieurs, de physiciens, de sociologues ou d’administrateurs formés par l’université et employés par les grandes entreprises, d’autre part l’incorporation dans la production au sens strict du terme. Alors qu’auparavant l’intellectuel était un travailleur indépendant et un représentant des professions libérales, il est devenu, à l’époque de Mandel, un salarié. « La prolétarisation du travail intellectuel, qui aujourd’hui apparaît comme le plus grand triomphe du néo-capitalisme, peut contribuer à accélérer sa chute. En prolétarisant le travail intellectuel, le capitalisme donne au prolétariat une capacité plus grande de rébellion consciente contre l’exploitation et l’oppression. Et la rébellion qui devient consciente après avoir été spontanée et élémentaire est annonciatrice de la révolution socialiste ».

Crises

La crise de l’université bourgeoise des années 60 surgit d’abord comme résultat de l’explosion universitaire. En quelques années le nombre d’étudiants s’est démultiplié. L’élément intellectuel étant devenu crucial pour le développement de l’économie et de la société, cela implique des modifications radicales du rôle social des étudiants.

Les générations d’étudiants précédant Mai ont fréquemment joué un rôle actif de briseurs de grèves. Les ouvriers d’avant la seconde guerre mondiale avaient une attitude franchement hostile envers les études universitaires de leurs enfants. L’élévation progressive du niveau de vie, la modification de la place des intellectuels dans la société, et le fait que l’offre d’emploi pour les universitaires augmentait plus vite que l’offre pour les ouvriers qualifiés, sont des facteurs qui ont réduit la brèche entre travail manuel et intellectuel. Les familles ouvrières voyaient de plus en plus les études universitaires comme un rempart contre les sous-salaires, le sous-emploi, la précarité. Il ne faut pas exagérer l’ensemble du phénomène de la « démocratisation » de l’université. Les enfants d’ouvriers, et encore dans les années 2000, forment une minorité des étudiants. Cependant, avant la première guerre mondiale, les étudiants venant de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie formaient une large majorité des étudiants. En 68 ce n’était déjà plus le cas.

Comme le choix des études est de plus en plus déterminé par les lois du marché, et non par les talents, aspirations individuelles et préférences des étudiants eux-mêmes, ceux-ci deviennent, selon Mandel, des « apprentis intellectuels de plus en plus aliénés ». Ainsi, la révolte étudiante ne serait pas seulement le produit de l’aliénation du travail intellectuel, mais aussi celui de l’aliénation du travail étudiant en soi. La difficulté à donner de manière exacte la définition de la nature et du rôle social des étudiants est provoquée par le caractère hybride de la situation étudiante. D’un côté il s’agit d’une situation provisoire : doit-on définir un étudiant selon ses origines ou selon son devenir social ? Un fils de paysan qui va à la fac pour devenir technicien spécialisé n’est plus un paysan mais pas encore un prolétaire. De plus il n’est pas producteur de plus-value puisque la production de sa qualification est assurée par le professeur - quand bien même l’étudiant n’est plus un consommateur passif de connaissances, devant dans une certaine mesure développer une activité propre et une autonomie qui diffère considérablement des études primaires ou secondaires.

Dire que l’étudiant est un petit bourgeois parce qu’il ne produit pas de valeur et qu’il vit de la plus-value est du point de vue de l’économie marxiste profondément faux. Marx a clairement affirmé que tout travail productif n’est pas nécessairement un travail salarié, et que tout travail salarié n’est pas nécessairement productif. Un paysan qui produit des vivres pour le marché et est propriétaire, est producteur de valeur, et donc travailleur productif, mais il fait partie de la petite bourgeoisie, et non du prolétariat, car il n’est pas salarié. Au contraire un chauffeur d’autobus ne produit pas de valeur, mais c’est un prolétaire salarié, et non un petit bourgeois.

Rôle social des étudiants

Mandel définit le milieu étudiant en 68 comme étant un milieu « d’apprentis travailleurs-intellectuels », définition impliquant l’interrelation de trois facteurs :

- La majorité des étudiants sont des futurs travailleurs intellectuels prolétarisés.

- L’existence étudiante est une existence temporaire et hybride, dont les caractéristiques peuvent varier énormément, et sont fréquemment contradictoires. En conséquence, on ne peut en déduire un comportement social définitif. Aujourd’hui on peut se douter qu’un étudiant en licence pro « manager de rayon-carrefour » à la fac de Nanterre n’aura pas forcément les mêmes intérêts qu’un étudiant en dernière année d’école de commerce. Il faut saisir la nature socialement hybride du contenu des études universitaires pour comprendre les divisions inévitables dont souffre la masse des étudiants, des possibilités réelles de la bourgeoisie de diviser le mouvement et d’en intégrer au moins une partie.

- Enfin le milieu étudiant lui-même après la massification extrême tend à rendre homogène une masse qui ne l’est pas point de vue de ses origines et de son avenir social. En 68, il y avait 12 000 étudiants à Nanterre. Cette tendance à créer un milieu étudiant spécifique et homogène par concentration, même s’il est extrêmement atomisé, est l’un des facteurs qui a contribué à l’explosion de la révolte étudiante.

Autrefois l’université bourgeoise était l’université des étudiants bourgeois, organisée pour servir les besoins des fils de bourgeoisie. Lorsque le recrutement social des étudiants se modifia radicalement, l’insuffisance de l’infrastructure matérielle se fit largement sentir. La majorité des étudiant boursiers, avaient des besoins en logement, nourriture, loisirs que l’université ne pouvait leur offrir. Les revendications et les mobilisations pour des cités U, plus de livres et de moyens sont pour Mandel absolument nécessaires - et l’insuffisance de moyens peut être la première cause des révolte étudiantes - mais il insiste sur le caractère économique de telles revendications : « Ces luttes sont progressistes et absolument nécessaires pour atteindre un niveau primaire de prise de conscience et d’organisation Mais elles sont en elles-mêmes insuffisantes pour intégrer la révolte étudiante à l’intérieur d’un mouvement universel d’émancipation révolutionnaire ».

Pour Mandel, les conséquences de l’évolution du capitalisme et de la « troisième révolution industrielle » sont un bouleversement du rapport de l’intelligentsia au processus de production : « De même que les première et deuxième révolutions industrielles ont parachevé la division sociale du travail entre travail manuel et intellectuel, opposant ainsi les travailleurs intellectuels aux travailleurs manuels, aux producteurs, de même la troisième révolution industrielle conduit à une réunification tendancielle du travail manuel et intellectuel, c’est-à-dire à une réintégration tendancielle du travail intellectuel dans le procès de production immédiat. Cette modification radicale doit être le point de départ d’une analyse capable de comprendre ce qui passe et se passera dans le champ étudiant ».

Aujourd’hui, le développement de mouvements lycéens et étudiants à caractère de masse crée une situation nouvelle dans les coordonnées stratégiques de la situation. Il est indispensable de se réapproprier les débats pour les actualiser et ainsi les faire devenir une arme pour notre camp social.

Cet article n’a pas vocation à retranscrire l’ensemble des arguments développés par Mandel dans sa brochure. Il cherche par contre à montrer comment les arguments développés dans l’histoire sont aujourd’hui un point d’appui pour comprendre et continuer le combat. Quarante ans après Mai 68, la lutte continue !

Notes

[1Ernest Mandel, Les étudiants, les intellectuels et la lutte de classes, La Brèche, 1979.


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