Éditorial

par Denis Godard

15 septembre 2009

Le mouvement contre le CPE a déjà créé un record : la plus grosse journée de manifestations de notre histoire. Cela aura des conséquences sur tous les terrains, sociaux et politiques. Les mêmes ressorts jouent dans ce mouvement que dans le combat qui a mené à la victoire du 29 mai dernier contre la Constitution européenne : l’idée qu’on peut gagner et l’unité de la gauche.

Mais ce mouvement a deux différences majeures avec la campagne du 29 mai.
Tout d’abord c’est sur le terrain de la lutte sociale que se mène le combat, rendant la confrontation de classe plus directe et la nécessité de l’organisation pour combattre plus claire.

Et, cette fois l’initiative ne vient pas d’une couche d’intellectuels et de militants mais de la jeunesse. Cette irruption de la jeunesse scolarisée, après le soulèvement des banlieues, est crucial parce qu’elle redonne espoir à tous les travailleurs non seulement pour cette lutte spécifique mais aussi pour l’avenir (et l’espoir est quand même le moteur indispensable aux luttes).

C’est sans doute cette irruption de la jeunesse qui favorise toutes les analogies avec Mai 68. Tout retour sur des périodes de l’histoire, surtout quand il s’agit de luttes est utile. De nombreuses leçons peuvent en être tirées. Si chaque génération repartait de zéro, il y aurait peu de raison de réussir un jour ce qui a échoué par le passé.

Mais si l’étude de Mai 68 est utile et que des enseignements peuvent et doivent en être tirés pour aujourd’hui, la comparaison est par contre limitée par la nature très différente de la période.

En 1968, ce n’est pas la polarisation sociale induite par des années de crise économique et les attaques du patronat qui a conduit à une crise politique. Les changements dans la société produits par la plus longue période d’expansion de l’histoire du capitalisme ont été à l’origine de l’instabilité politique d’un système qui n’était plus adapté. Cela doit certes être une leçon contre toutes les analyses mécaniques qui ne font reposer les potentialités révolutionnaires que sur le terrain de la crise économique ‘terminale’ du capitalisme.

Mais la nature de la crise avait un effet sur la nature des luttes, les possibilités de les canaliser sur un terrain largement moral, sur les capacités d’acheter la paix sociale. Il ne faut pas oublier qu’en définitive, même s’il n’y avait pas de fatalité à cela, c’est un parti socialiste à bout de souffle qui a pu réémerger comme un sphinx de ses cendres.
Le rappel de 1936 n’est pas simplement de circonstance avec le soixante-dixième anniversaire du Front populaire.

Les années 1930 ont été des années de polarisation extrême dans les pays développés, aussi bien sociale (avec le développement d’un chômage de masse) que politique (avec l’arrivée au pouvoir des fascistes en Italie et en Allemagne, les grèves de 1936 en France, la révolution en Espagne).

En France c’est la réaction populaire au danger fasciste en 1934 qui est à l’origine d’une pression vers l’unité qui mènera à la réunification syndicale en mars 1936 (il faut noter que ce processus de réunification entraîne une remontée spectaculaire des effectifs syndicaux) et à la victoire électorale du Front populaire en mai de la même année.

Cette période, et surtout les mois de mai-juin 1936, est une illustration de la manière dont se nourrissent les luttes sociales et politiques. C’est la victoire électorale de mai 1936 qui provoque des luttes qui font boule de neige et conduisent aux occupations d’usine. Ce sont ces luttes qui conduisent le patronat à capituler rapidement (les accords de Matignon) pour accepter tous les acquis présentés par la mythologie de gauche comme les acquis du Front populaire… alors qu’ils n’étaient pas dans le programme électoral du Front populaire. Et, là encore contredisant le mythe, c’est au lendemain des accords de Matignon, que la grève se généralise soulevant inévitablement la question la plus politique qui soit, celle du pouvoir.
C’est parce que ces dynamiques nous intéressent au premier chef (polarisation, poussée vers l’unité, relations entre luttes politiques et luttes sociales) que nous devons utiliser les commémorations de juin 1936 pour en populariser les leçons.

Il nous faut comprendre que la pression vers l’unité ne vient pas des appareils politiques. Elle vient des jeunes et des travailleurs qui comprennent que, sans unité, il n’est pas possible de résister aux assauts de la classe dirigeante, encore moins de développer une perspective de transformation de la société. Mais, en juin 1936, cette unité a été dominée et dirigée par des forces qu’effrayaient la pression des masses et qui a canalisé les luttes vers le soutien au gouvernement, le respect des institutions. Le pouvoir a été laissé aux mains de la classe dirigeante avec le résultat qu’on connaît.

Il y a une grande différence entre aujourd’hui et 1936. En 1936 le mouvement ouvrier était sous l’hégémonie quasi-absolue du parti communiste et du parti socialiste (SFIO), qui étaient les deux piliers principaux de la coalition du Front populaire. On comprend aisément à quel point il était difficile, pour les révolutionnaires de réussir à convaincre de l’impasse vers laquelle conduisait la stratégie du Front populaire.

Il n’y a plus cette hégémonie aujourd’hui. Mais il n’existe pas non plus d’alternative à une échelle un tant soit peu conséquente. Pour éviter de retomber dans les mêmes impasses les révolutionnaires doivent être déterminés à construire cette alternative qui permette de regrouper les jeunes et les travailleurs qui se radicalisent et entraîner des courants de la gauche, du PCF à la gauche du PS, dans ce type de dynamique. Si nous ne nous jetons pas dans cette bataille, ces courants, et avec eux de nombreux travailleurs et jeunes seront à nouveau entraînés, au nom de l’unité nécessaire, vers des formes d’unité politique dominées par le PS.

Au moment où nous produisons la revue, nous ne savons pas quelle sera l’issue du combat contre le CPE. En fonction du résultat la situation qui s’ouvrira sera sensiblement différente.
Deux choses doivent être cependant prises en compte.

Le mouvement contre le CPE a révélé et accentué la crise au sein de la classe dirigeante qui, derrière la rivalité des ambitions de Villepin et Sarkozy, est surtout l’expression de divergences sur les stratégies à mettre en ouvre. Par ailleurs la classe dirigeante n’a pas aujourd’hui de parti qui pourrait donner à la réaction un relai de masse dans la population. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’elle hésite à mener une bataille décisive contre les jeunes et les travailleurs. Elle reculera donc, d’une manière ou d’une autre sur le CPE.

Il est évident que ce recul sera d’autant plus clair que le mouvement sera fort. Une victoire sur le CPE donnera une impulsion puissante pour développer toutes les structures qui permettent de lutter, des syndicats jusqu’aux organisations politiques.

Pour éviter que ce mouvement ne puisse être canalisé vers des dynamiques de type Front populaire, il est indispensable que les révolutionnaires, et en premier lieu la LCR, engagent toutes leurs forces vers le regroupement de la gauche antilibérale et la construction d’une alternative aux sociaux-libéraux, qu’ils soient à la tête du PS ou à celle de nos syndicats.


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