K comme Kollontaï

par Chanie Rosenberg

5 novembre 2009

Le succès de la Révolution Russe de 1917 a permis aux idées radicales de libération des femmes qui avaient germé dans la période pré-révolutionnaire de se développer, et d’être largement débattues et incorporées concrètement au monde réel.

Une révolution renverse toutes les notions préconçues. Lorsque le profit dirigeait l’ancienne société, il supprimait les besoins et les désirs des masses dont il était extrait. Ce sont ces mêmes besoins et ces mêmes désirs qui devaient devenir la force motrice de la production dans la nouvelle société socialiste, à la fois satisfaisant les exigences matérielles et, de façon plus fondamentale, nourrissant la personnalité des êtres humains.

Comme disait le dirigeant révolutionnaire russe Léon Trotsky, la réalisation suprême de la révolution a été « l’éveil de la personnalité humaine dans les masses - qui sont censées ne posséder aucune personnalité ».

Il s’ensuit naturellement que dans toutes les révolutions il y a eu une montée phénoménale des luttes et de la conscience des femmes travailleuses. Les femmes ont lutté à la fois avec et en solidarité avec leurs camarades en armes, les travailleurs révolutionnaires, et aussi pour leur propre libération de leur double fardeau de travailleuses et de mères.

Cela a amené les dirigeants révolutionnaires à reconnaître que des grands changements sociaux sont impossibles sans un soulèvement des femmes travailleuses. En fait, comme le faisait remarquer Lénine, l’aune à laquelle se mesure la réussite d’une révolution est le degré auquel les femmes y participent.

La combattante la plus importante et la plus hardie de l’émancipation des femmes était sans conteste Alexandra Kollontaï. Née en 1872 dans une famille aristocratique, elle devint marxiste active en 1896, et rejoignit les bolcheviks en 1915.

Avec un certain nombre d’autres femmes bolcheviques, elle devint une combattante de premier plan pour la libération des femmes de la classe ouvrière de leur double fardeau. Elle rejetait dans les termes les plus fermes toute alliance avec les féministes bourgeoises, qui étaient engagées dans une lutte dérisoire avec ceux qu’elles considéraient comme leurs ennemis communs, "les hommes".

Kollontaï argumentait en faveur de l’organisation des travailleuses "sur de strictes lignes de classe" dans les syndicats et dans le mouvement socialiste. Son attitude se basait sur une vision matérialiste des buts de la lutte des classes.

Elle proclamait que la lutte de classe des hommes et des femmes, ensemble, a pour résultat à la fois d’arracher des réformes en faveur des femmes et de rapprocher l’émancipation finale des femmes par la révolution socialiste. C’est cette même lutte des classes qui pousse les féministes bourgeoises qui se battent pour ’légalité des droits’ à se différencier de plus en plus des femmes travailleuses pour préserver leur situation privilégiée. Cette argumentation est brillamment développée dans La base sociale de la question féminine, qu’elle écrivit en 1909.

Elle s’engageait dans toutes les causes qu’elle soutenait avec passion, énergie et une détermination à les pousser au bout de leurs possibilités. Elle était de cette façon en phase avec la lutte révolutionnaire montante pendant la Première Guerre mondiale, la révolution de février 1917 et la révolution socialiste d’Octobre.

Kollontaï faisait partie à cette époque des dirigeants bolcheviks les plus populaires et fut nommée commissaire aux affaires sociales. Cela lui permit de superviser une des législations sociales les plus avancées du monde : égalité des droits dans le mariage, simplification du divorce, contraception et avortement sur simple demande, mise en place de crèches, de lieux de vie communs bien équipés et de centres de restaurants, laveries, etc.
"La séparation de la cuisine du mariage", et le soin collectif des enfants en tant qu’obligation sociale étaient les principes directeurs de la révolution - une réalisation remarquable pour le pays le plus arriéré d’Europe.

Les nouvelles idées et les nouvelles pratiques étaient répandues par l’intermédiaire de Conférences de Déléguées des Femmes Paysannes et Ouvrières, modelées sur les soviets, et sous l’égide d’un Département Féminin spécial du Parti bolchevik, que Kollontaï dirigea en 1920-21.

Elle écrivit aussi abondamment sur les travailleuses et la nouvelle morale, le mariage, la famille, les relations personnelles et la prostitution, avec toujours des avis détaillés et en encourageant les femmes travailleuses à briser leurs chaînes. Par ailleurs, elle produisit quantité d’écrits sur d’autres sujets politiques, ainsi que deux romans. Mais ce qui la fit le plus remarquer était son attitude envers les rapports sexuels, qu’elle considérait dans le détail, avec une profondeur de sentiment que personne n’avait atteint auparavant.

Mais les autres révolutions, par-dessus tout celle d’Allemagne, échouèrent, et la Russie soviétique fut submergée par la guerre civile et l’invasion étrangère. L’industrie fut dévastée, la classe ouvrière décimée et les villes dépeuplées par la guerre et la famine - les beaux espoirs de construction du socialisme et de libération des femmes ne purent être atteints.

Mais le mot compromis ne faisait pas partie du vocabulaire de Kollontaï. De même qu’elle avait été portée par la vague révolutionnaire montante, elle fut désarçonnée par l’échec des autres révolutions.

Son opposition résolue aux retraites politiques et économiques la mit sur la touche et elle finit dans un poste diplomatique en Norvège. Elle passa le reste de sa vie dans des postes d’ambassadrice à l’étranger, presque entièrement silencieuse sur les horreurs du stalinisme et ce qu’elles signifiaient pour les femmes.

Les idéaux élevés de Kollontaï furent brisés par l’échec de la révolution au dehors et par l’arriération extrême de l’économie et de la société russes. De telle sorte que, comme beaucoup des premiers communistes, son heure n’était pas encore venue.

Kollontaï s’efforça de libérer les femmes des chaînes du capitalisme, pour qu’elles croissent et s’épanouissent spirituellement, se remodelant elles-mêmes dans une morale nouvelle d’égalité et de liberté totale. Ses efforts, aussi bien théoriques que pratiques, constituent un repère pour l’avenir.

P.-S.

Quelques textes d’Alexandra Kollontaï sur marxists.org.

Voir en ligne : Traduction de « K is for Kollontaï », Socialist Review, Avril 2008, Traduction : JM Guerlin

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